Psy – HGE
Fiche réalisée selon le plan MGS
Item ECNi 74
Déf 2 : On distingue (voir aussi la fiche Addiction : vue d’ensemble)
– le non-usage (ou abstinence)
– l’usage simple (= usage à faible risque) : consommation en dessous des seuils ET absence de pathologie lié à l’alcool (n’expose pas ou pas encore à des conséquences médicales et/ou sociales)
– mésusage : regroupe l’usage à risque (asymptomatique, mais consommation au dessus des normes), l’usage nocif (troubles présents) et la dépendance (selon les critères CIM-10)
– Jamais plus de 4 V-St * par occasion lors d’un usage ponctuel
– Pas plus de 21 V-St (homme) / 14 V-St (femme) par semaine
* 1 verre-standard (V-St) = 10g d’alcool pur
Physiopathologie : L’éthanol, principe actif de l’alcool, exerce une action biologique et comportementale complexe.
– Systèmes de neurotransmission perturbés : cholinergique, sérotoninergique, dopaminergique, GABAergique, glutaminergique, opioïdergique
– Interaction avec les systèmes d’appétence, de motivation et de décision.
Epidémiologie
– 13 % de la population (15-75 ans) déclare avoir eu au moins 1 consommation importante pour rechercher l’ivresse, 1ère ivresse à 15 ans en moyenne.
– 10 millions de personnes consomment ≥ 3 fois par semaine, 6 millions de consommateurs quotidiens (15%).
– Consommation à risque : chronique (3,8 millions) ou aiguë (12 millions).
– 2e cause de mortalité évitable en France : 49,000 décès / an (9% de l’ensemble des décès2, jusqu’à 25% des 20-39 ans).
– 3e Facteur de risque de morbidité mondiale.
2) Diagnostic 1A
Clinique | PARACLINIQUE |
---|---|
Dépistage ++ Signes de dépendance (CIM-10) |
Alcoolémie élevée Augmentation de la transferrine désialylée, des gGT et du VGM |
A ) Clinique
-
Dépistage d’un mésusage 2
« Le repérage d’un mésusage de l’alcool est en priorité la mission des médecins généralistes, comme celle de tout professionnel de santé » 2
Population concernée : tout patient, quelque soit son âge (chez l’enfant, demander en premier lieu s’il a déjà expérimenté l’alcool).
Indices :
– sociaux : problème familial, professionnel, …
– cliniques : trouble du sommeil, dépression, anxiété, HTA, dilatation capillaire du visage, yeux rouges (signes non spécifiques)
Questionnaires :
– DETA 0
– AUDIT-C ++ (se rapproche des questions de la « consommation déclarée d’alcool 1A)
– FACE, AUDIT
-
Signes d’intoxication aigüe = ivresse
Signes neuropsy
– Effet desinhibiteur et euphorisant : jovialité ou tristesse, logorrhée, desinhibition, temps de réaction allongé
– Effet dépresseur : perturbation de la perception, du jugement, des facultés cognitives
Signes physiques
– haleine oenolique
– injection des conjonctives
– syndrome cérébelleux avec dysarthrie et trouble de l’équilibre
– temps de réaction allongé, jusqu’à coma avec mydriase0
– bradycardie0
Schématiquement, on peut distinguer 3 phases selon la gravité et la variabilité inter-individu 0 :
. de 0,5 à 1,5 g/L : euphorie, désinhibition, logorrhée
. de 1,5 à 3 g/l : incoordination motrice, trouble de l’équilibre
. > 3 g/L : coma calme avec mydriase aréactive, bradycardie
Remarque 0 : l’ivresse pathologique comporte des signes excito-moteurs, hallucinatoires, délirants avec dangerosité potentielle pour le patient ou son entourage. Ce tableau de durée prolongée survient plus fréquemment en présence de comorbidités (troubles de la personnalité antisociale, trouble cérébral organique).
-
Signes de dépendance
Comme pour toute addiction, on retrouve :
– des symptômes comportementaux
– une répercussion sociale et/ou médicale
– des symptômes pharmacologiques (sevrage)
Signes d’imprégnation éthylique :
– Bouffissure du visage, télangiectasie et yeux globuleux
– Haleine alcoolique
– Tremblement
– Incurie
– Amaigrissement
Critères de dépendance du CIM-10, dont le syndrome de sevrage :
« Le syndrome de sevrage est d’intensité limitée et sans complication chez 95 % des personnes alcoolo-dépendantes » 2. Il survient lors d’un arrêt brutal chez (seulement) 2/3 des sujets dépendants, dans le heures qui suivent l’arrêt (réveil ++). Il est maximal dans les premières 72h et peut durer jusqu’à 7-10 jours.
Tableau initial (“syndrome de sevrage simple 0”)
– Signes psycho-comportementaux : anxiété, insomnie, cauchemars, irritabilité, agitation
– Signes végétatifs : sueurs, tremblements, tachycardie, HTA
– Signes digestifs : vomissements, nausées, anorexie, diarrhée
Régression au moins partielle des signes par prise d’alcool ou de benzodiazépines
Complications
– Convulsions de sevrage : crises généralisées tonico-cloniques jusqu’à état de mal épileptique. Début précoce le plus souvent (< 48h), parfois retardé (traitement par benzo avec diminution trop rapide de la dose)
– Delirium tremens : syndrome confusionnel avec délire onirique ; déshydratation, crise d’épilepsie
– Encéphalopathie de Gayet-Wernicke : le risque développer cette encéphalopathie rare, favorisée par une carence en vitamine B1, est augmenté lors du sevrage. Le tableau comporte syndrome confusionnel avec signes oculomoteurs, syndrome cérébelleux statique et hypertonie oppositionnelle 1A,1C.
Mesure de l’alcoolémie (consommation aigüe)
– Alcoolémie élevée
– Alcootest positif
Signes d’appel biologique (consommation chronique)
– Augmentation des gamma-GT et du VGM (anémie macrocytaire, macrocytose isolée)
– Augmentation des CDT (carbohydrate deficient transferrin) ou transferrine désialylée 1B
– Signes de complications (dont augmentation des enzymes hépatiques avec ASAT>ALAT 0)
Les signes biologiques sont d’apparition tardive et ne peuvent pas suffire pour le dépistage ! 2
Marqueurs spécifiques 0 : il existe des marqueurs plus spécifiques d’une intoxication récente et/ou chronique
– Ethanol (sang), ethylglucuronide et ethylsulfate (urine) : consommation récente
– Phosphatidylethanol (sang) : jusqu’à 12j après consommation
– Ethylglucuronide (cheveu) : jusqu’à 6 mois
3) Evolution 1A
- Complications non psychiatriques
Atteintes | Complications |
---|---|
Tumorales | – Cancer des voies aérodigestives supérieures – Cancer épidermoïde de l’œsophage – Carcinome hépatocellulaire (si cirrhose) – Cancer colorectal – Cancer du sein |
Digestives | – Foie : stéatose, hépatite alcoolique aiguë, cirrhose – Pancréatite aiguë / chronique calcifiante – Œsophagite, gastrite – Diarrhée motrice et/ou par atteinte entérocytaire |
Neurologiques | – Coma éthylique – Troubles cognitifs liés à l’alcool (légers à sévères) – Démences (Syndrome de Korsakoff , Maladie de Marchiafava-Bignami, Démence alcoolique) – Encéphalopathies carentielles et métaboliques (Encéphalopathie de Gayet-Wernicke, Encéphalopathie pellagreuse) – Autres (encéphalopathie hépatique, myélinolyse centro-pontine si correction trop rapide d’une hyponatrémie, atrophie cérébelleuse, crise épileptique le plus souvent généralisée, polyneuropathies sensitivomotrices, Neuropathie optique (NORB), Hématomes cérébraux (hémorragies cérébrales / méningées par trauma crânien) |
Cardiovasculaire | – HTA – Troubles du rythme – Cardiopathies non-obstructives |
Rhumatologique | – Nécrose de la tête fémorale – Ostéoporose – Ostéomalacie – Myopathie chronique ++, aiguë 1C |
Traumatique | – Fractures – Traumatismes crâniens |
Hématologique | – Macrocytose – Anémie, thrombopénie, leucopénie |
Métabolique | – Hypoglycémie, intolérance au glucose – Hypertriglycéridémie – Dénutrition – Hyperuricémie et goutte |
Dermatologique | – Aggravation d’un psoriasis – Rhinophyma – Lipomatose de Launois-Bensaude 0 |
Obstétricale | Syndrome d’alcoolisation foetale (dysmorphie, retard mental) |
Génitale | Dysfonctions sexuelles |
- Complications/comorbidités psychiatriques
Troubles anxieux et dépressifs ++ (mais 80% des dépressions associées sont secondaires), risque de suicide très augmenté
Trouble bipolaire
Trouble de la personnalité (surtout antisocial) 2
Schizophrénie (20-50% d’usage nocif / dépendance dans cette population)
4) PEC
A ) Bilan 2
Evaluation addicto : histoire, parcours de soins, co-dépendances (substance et addiction comportementale). Pour l’alcool, les 2 principaux paramètres sont la consommation moyenne d’alcool et la fréquence des jours de fortes consommation (>=6V-St). Les échelles de sévérité de la dépendance n’ont pas d’intérêt clinique.
Evaluation somatique : cf complications. A noter que les troubles neuropsy sont dépistable par le test d’évaluation neuropsychologique de Montréal (MoCa).
Bilan biologique devant un mésusage d’alcool |
---|
NFS, TP, ASAT, ALAT, gGT |
+/- VHB, VHC si FdR ou perturbation du bilan hépatique +/- VIH si FdR |
Evaluation psychiatrique : Une période d’abstinence ou d’usage simple de 2 semaines min. est nécessaire afin d’établir une causalité entre les troubles présents et l’alcool (et décider l’introduction d’un traitement). Evaluation syst. du risque suicidaire +++
Evaluation sociale classique
B ) Traitement 1A
Objectif : disparition durable du mésusage. On recherche donc idéalement un non-usage, en particulier s’il existe une dépendance sévère ou des complications médicales, ou le retour à un usage simple. Comme pour toutes les addictions, il faut laisser le sujet définir son objectif idéal.
Il existe 2 grandes stratégies
– Arrêt encadré (= sevrage si dépendance) puis maintien ± long de toute consommation
– Réduction progressive, parfois avec des objectifs intermédiaires
La PEC est multidisciplinaire selon les répercussions
-
Interventions psychosociales 2
Intervention brève : entretien court (5-20 min) visant à augmenter le niveau de conscience et de connaissance des troubles liés à la consommation d’alcool. Efficace jusqu’à la dépendance légère
Intervention psychosociale de faible intensité :
– entretien motivationnel
– programme cognitivo-comportemental en 3 séances
– thérapie conjugale (séance unique)
Intervention psychosociale spécialisée :
– renforcement communautaire (+disulfirame)
– entrainement à l’auto-controle comportemental
– entrainement aux compétences sociales et de coping
Groupes d’entraide (alcoolique anonyme)
-
Prévention / traitement du sevrage
Il doit être planifié, et s’inscrire dans un projet addictologique global.
Modalités
– Ambulatoire : sous surveillance du médecin traitant, CSAPA ou consultations hospitalières
– Hospitalisation en unité de soins addictologique : programmes de quelques semaines à quelques mois, équipes pluridisciplinaires
Contre-indications au sevrage en ambulatoire
– ATCD de complication de sevrage : delirium tremens ou convulsions
– Dépendance sévère : symptômes matinaux intenses, CDA > 30 V-St / jour
– Dépendance aux BZD, ou CI à ceux-ci (IHC, insuffisance respiratoire)
– Echec des tentatives de sevrage ambulatoire
– Terrain vulnérable (sujet âgé, femme enceinte, comorbidité psychiatrique ou non)
Utilisation des BZD non-systématique, selon l’état clinique et les ATCD
Autres mesures
– Vitamine B1 PO systématique
– Hydratation orale : 2 à 3L /24h
– Contrôle du syndrome de sevrage, correction de troubles hydro-électrolytiques si besoin
– PEC des complications du sevrage (crise épileptique, delirium tremens, syndrome de Gayet Wernicke)
BZD
La molécule de choix est le diazépam. Il existe 2 types de prescriptions
Prescription à doses fixes : 2 protocoles
– 2-4 x10mg / j pendant 2-3j, puis diminution en 4 à 7j (5mg/j 0)
– 6x10mg le premier jour, puis diminution de 10mg/j
Prescription personnalisée adaptée aux symptômes : +/- dose de charge, puis calcul d’un score de sevrage (échelle CIWA-Ar ou index clinique de Cushman) avant chaque délivrance (éventuelle) de diazepam. Protocole utilisable même en cas de CI aux BZD sous surveillance hospitalière.
Thiamine
– en l’absence de dénutrition : 500mg/j p.o. pendant 5j, puis 250mg/j pendant 2 semaines – en cas de malnutrition : 2x250mg/j i.v. pendant 5j, puis relai p.o. jusqu’à reprise d’une alimentation normale
– en cas de perfusion de glucose : administration préalable de 500mg i.v. (Courte infusion de 30min dans 100mL de NaCl)
Vitamines B6, PP, C, acide folique, zinc et magnésium : apport envisageable chez le patient dénutri, pour quelques jours.
-
Pharmacothérapie au long cours 2
Indications : Une pharmacothérapie au long cours peut être envisagé en cas de dépendance, selon les 2 objectifs.
Abstinence | Réduction de la consommation | |
---|---|---|
1e intention | Acamprosate Naltrexone |
Nalméfène |
2e intention | Disulfiram | Baclofène* |
3e intention | Baclofène* |
*hors AMM, encadré par une RTU
Principales caractéristiques
Acamprosate | Naltrexone | Disulfirame | |
---|---|---|---|
Mécanisme | Actif sur le système glutamatergique | Antagoniste opioïde, diminue le plaisir procuré par la prise d’alcool | Augmente la concentration en acétaldéhyde : Effet antabuse en cas de consommation d’alcool |
CI 0 | Ins. rénale Ins. hép. |
Prise d’opioide 1A Ins. rénale Ins. hép. |
Varice oes., angor, cardiomyopathie, hyperthyroidie |
Effet indésirable 0 | Souvent bien toléré 1A Diarrhée |
3 premiers jours ++ Nausée-vomissement Dépression |
Asthénie, dépression Tox. hépatique2, Neuropathie périphérique2 +OH => vomissement, tachycardie, chaleur+++ 2 |
Posologie | 2-3x666mg/j (selon poids) AMM 1an |
25mg puis 50mg/j AMM 3mois |
250-500mg/j |
Remarques | Prolongation hors AMM possible A arrêter après 4-6 semaine si persistance de la consommation d’alcool |
En 2e intention Min. 24h après la dernière prise d’alcool Bilan pré-thérapeutique ++0 |
Nalméfène : antagoniste opioïde, traitement en si besoin (max. 1cp/j)
Baclofène : inhibiteur GABA-B, poso selon patient…
C ) Suivi 1A
Le bilan initial (NFS, TP, ASAT, ALAT, gGT) doit être répéter au moins 1x/an 2
En cas d’abstinence, un suivi biologique peut être utile, via les signes d’appel bio (ou les marqueurs spécifiques0). A noter la normalisation des signes biologiques après l’arrêt :
– gGT : 4-10 semaines
– macrocytose : 3 mois
– CDT : 2-5 semaines 1B
10 réponses à “Alcool : mésusage et addiction”
Concernant les encéphalopahties chez l’alcoolique, des infos ici :
– Encéphalopathie métabolique chez l’alcoolique chronique, comment s’orienter ?
La notion d’ivresse pathologique n’apparait pas dans le ref. de psychiatrie… (?)
En cas de déficit en vit. B6, on peut retrouver une anémie microcytose (cf fiche anémie)
Concernant les seuils, il est intéressant de voir la variabilité entre les pays. Cf Les seuils de consommation d’alcool de la Fondation pour la recherche en alcoologie
Flute, le site n’est plus accessible, et je ne retrouve pas le document…
Par rapport aux interventions brèves, la RBP de la SFA 2 précise :
« les interventions brèves plus complètes, consistant en une ou plusieurs sessions de 20-30 minutes, et intégrant des éléments cognitivo-comportementaux et motivationnels, n’ont pas montré de supériorité sur les interventions brèves (grade A) »
La RBP de la SFA mentionne également le GHB dans les traitements au long cours (« en cours d’évaluation »). Depuis la parution de la RBP, il ne semble pas qu’un tel traitement soit dispo en France !
Pour le nalméfène, les effets indésirables semblent important (vomissement, vertige, fatigue). Il est conseillé, pour la 1ere prise, de prendre la tablette un jour de repos, « pour voir les effets » (pas directement au travail avant la pose apéro…).
Concernant les nouveaux marqueurs, voir l’article détaillé dans la biblio : Aguilar et al. « Nouveaux marqueurs biologiques de la consommation d’alcool » (Rev Med Suisse, 2019)
L’article en question n’est malheureusement plus dispo gratuitement…
Test interessant : EtG dans un prélèvement urinaire avec test rapide (comme une BU) => Consommation d’alcool dans les 72h si positif