Onco – ORL
Fiche réalisée selon le plan MGS
Item ECNi 295
Déf : les cancers de la cavité buccale font partie des cancers des VADS. Seules les caractéristiques propres à cette localisation sont développées dans cette fiche.
Type anapath
– Carcinomes épidermoïdes (90 %)
– Carcinomes glandulaires (5 %) : ADK, carcinome adénoïde kystique, carcinome muco-épidermoïde
– Autres (5 %) : sarcomes, lymphomes, tumeurs nerveuses…
Clinique | Paraclinique |
---|---|
± Lésions pré-cancéreuses blanches (leucoplasie, lichen…), rouge (Queyrat), chéilite actinique Inflammation, saignement, dent mobile, puis lésions muqueuses (ulcérantes, bourgeonnantes, mixtes, nodulaire) |
Histologie |
A ) Clinique
- Facteurs de risque
Alcool et tabac +++, et surtout leur association
Irritations mécaniques chroniques : dent délabrée, prothèse mal ajustée, morsures répétées
Irritations thermiques chroniques : souffleurs de verre, tabac, alimentation
Etats carentiels
Immunodépression : greffe, VIH…
Exposition UV dans le cancer de la lèvre inférieure
- Lésions précancéreuses (10-15%)
> Lésions muqueuses blanches
Leucoplasie = leucokératose
– Description : plage blanchâtre, souple, ne se détachant pas au grattage correspondant à une hyperkératose souvent liée au tabac. Siège = plancher buccal, lèvre inférieure, région rétrocommissurale labiale
– Evolution : risque dégénératif proportionnel à son caractère inhomogène, et x4 en cas de lésions érythroleucoplasiques (rouges et blanches)
Lichen buccal
– Description : lichen plan, érosif ou atrophique. La survenue d’un placard érythémateux, irrégulier, fines et serrées est très évocatrice de cancer. Siège = face interne de la joue, langue mobile, gencive adhérente
– Evolution : les plus à risque de dégénérescence sont les lichens atrophiques ou érosifs, en particulier sur la langue et le plancher, et si une intoxication tabagique est associée
Candidose chronique
– Lésion précancéreuse facultative, potentiel de dégénérescence discuté
– Les formes hyperplasique, verruqueuse et pseudo-tumorales sont à surveiller
Papillomatose orale floride
– Lésion pré-cancéreuse « quasi-obligatoire » !
– Terrain : sujets > 60 ans, femmes
– Description : touffes de villosités ± allongées, blanches ou rosées
– Evolution quasi-inéluctable vers un carcinome verruqueux (1 à 3 % des cancers transformés), tumeur extensive et très récidivante touchant fréquemment les gencives
> Lésions muqueuses rouges = érythroplasies de Queyrat
Lésions pré-cancéreuses obligatoires !
Plaques rouges, souvent étendues, restant superficielles, d’aspect velouté à bords irréguliers. L’épithélium atrophique recouvre un réseau vasculaire télangiectasique.
> Chéilite actinique chronique
Lésion pré-cancéreuse « facultative », responsable de 2/3 des cancers des lèvres
Terrain : > 50 ans, exposition prolongée au soleil (travail en altitude, en mer, en extérieur…)
Description : desquamation réactionnelle de toute la lèvre inférieure, plaque grisâtre ou jaunâtre et atrophie muqueuse
Evolution : plus à risque en cas d’intoxication tabagique et de mauvaise hygiène bucco-dentaire
- Aspects cliniques classiques
Il faut évoquer un cancer devant un lésion persistant > 10-15j, même asymptomatique (diagnostic précoce ++), survenant spontanément ou sur une lésion pré-cancéreuse, toujours à la même localisation.
> Signes d’appel
Initialement : gêne avec sensation d’accrochage alimentaire, irritation sur prothèse ou dent délabrée agressive, « inflammation muqueuse » persistante, saignement gingival, dent mobile
Plus tard : douleurs à la déglutition, otalgie réflexe, haleine fétide (infection à anaérobies), dysphagie, dysarthrie, limitation de l’ouverture buccale ou de la protraction linguale, stomatorragie
Note : l’état général est préservé tant que l’alimentation reste possible
> Lésions muqueuses
Ulcération
– Sensible voire douloureuse avec haleine fétide si infection
– Les bords sont surélévés, parfois éversés, muqueuse saine ou inflammatoire sur le versant externe. Le versant interne est framboisé, ± recouvert d’un enduit gris-vert, se prolonge par le fond cruenté, sanieux. L’ulcération peut être dissimulée dans un sillon anatomique (formes fissuraires « en feuillet de livre »).
– A la palpation, l’ulcération saigne facilement au contact, et repose sur une base indurée (valeur quasi-pathognomonique de cancer +++) qui dépasse les limites de la tumeur.
Tumeur bourgeonnante : dénuée de muqueuse de recouvrement, friable, reposant sur une induration similaire aux tumeurs ulcérantes, ± exubérante, hémorragique
Aspect mixte : ulcérobourgeonnantes
Nodule interstitiel
– Origine glandulaire +++
– Nodule dur et infiltrant, longtemps recouvert de muqueuse saine
– Formes secondairement ulcérées, formes ulcéro-croûteuses des lèvres
> Dissémination lymphatique régionale +++
Palpation de toutes les aires ganglionnaires cervicales, en particulier certains relais jugulo-carotidiens (sous-digastrique de Kuttner et sus-omo-hyoïdien de Poirier), à la recherche d’une ADP cervicale de caractéristiques malignes.
Une ADP est présente dès la 1ère consultation dans 50 % des cas. Sa taille n’est pas corrélée à la taille de la tumeur primitive. Un ganglion de taille ≥ 3 cm est probablement une rupture capsulaire, de mauvais pronostic.
- Formes topographiques
Langue mobile
– Ulcération ou bourgeon exophytique sur une base indurée
– Puis langue ± fixée au plancher dans les formes fissuraires ou tardives, avec gêne à l’alimentation et limitation de la protraction côté atteint
Plancher de la bouche
– Forme ulcérée infiltrante, voire fissuraire
– Envahissement rapide des muscles linguaux, de la gencive et l’os mandibulaire
– Plancher antérieur : rétention salivaire
– Plancher latéral et postérieur : difficultés à la protraction, troubles du rythme, dysarthrie, otalgie réflexe, trismus en cas d’envahissement du ptérygoïdien médial
Gencives
– Lésion ulcéro-bourgeonnante avec composante inflammatoire ++ (aspect de gingivite hyperplasique), mobilité dentaire, lyse osseuse
– Formes gingivo-mandibulaires : signe de Vincent (anesthésie du V3)
– Carcinome verruqueux : forme ± bourgeonnante, exophytique, d’aspect papillomateux
Commissure intermaxillaire = trigone rétromolaire
– Algies mandibulaires, otalgie réflexe, trismus, dysphagie
– Envahissement osseux précoce
Face interne des joues
– Forme végétante : origine traumatique fréquente. Extension aux parties molles rapide, et dissémination ganglionnaire précoce
– Forme ulcérée sur lésion précancéreuse blanche de dysplasie ou de lichen
Lèvres (portion muqueuse)
– Ulcération sur une lésion pré-cancéreuse d’aspect dyskératosique (FdR : tabac)
– Typiquement sur le vermillon de la lèvre inférieure, ou sur les commissures labiales
B ) Paraclinique
Histologie des lésions pré-cancéreuses
– Leucoplasie : hyperkératinisation
– Lésions muqueuses rouges : dysplasie sévère ou carcinome in situ, dans 50 % des cas association à un carcinome épidermoïde infiltrant
Histologie des lésions cancéreuses : cf. type anapath partie 1
C ) Diagnostics différentiels
Localisation de la lésion | Différentiels à évoquer |
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Langue mobile | Ulcération linguale traumatique : dent délabrée, crochet de prothèse inadapté. Disparition en 10-15j après disparition du facteur traumatique |
Plancher antérieur | Complication mécanique ou infectieuse de lithiase salivaire |
Gencives maxillaires envahissant l’os | Cancer du sinus maxillaire envahissant l’os |
Parmi les différentiels dans cette localisation, on peut également citer 1D : les tumeurs des glandes salivaires, épulis, polypes fibro-épithéliaux et les angiomes
Localisations à risque : la face interne de la joue est une localisation au pronostic particulièrement mauvais. Les cancers des commissures labiales s’y apparentent, tandis que ceux du vermillon de la lèvre inférieure ont un bien meilleur pronostic.
Survie à 5 ans
– T1-T2 : 45 %
– T3-T4 : 15-20 %
– N0 : 40 %
– N+ : 25 %, jusqu’à 15 % si N+ et ganglion en rupture capsulaire (R+)
A ) Bilan
L’IRM est notamment indiquée dans les tumeurs de la base de la langue et du plancher postérieur, et pour évaluer l’extension tumorale endo-osseuse, en particulier dans la médullaire mandibulaire.
Voir la fiche Cancers des VADS pour reste du bilan. Une fois ce bilan réalisé, on peut établir le stade TNM.
TNM | |
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T | T1 : ≤ 2 cm T2 : 2-4 cm T3 : > 4 cm T4 : envahissement des structures adjacentes, résécable (T4a) ou non (T4b) |
N | N1 : ≤ 3 cm, unique, homolatérale N2 : 3-6 cm, homolatérale unique (N2a), multiples (N2b), bilatérales ou controlatérale(s) (N2c) N3 : > 6 cm |
M | M1 : présence de métastases viscérales |
B ) Traitement
- Lésions pré-cancéreuses et carcinome in situ 1C
Leucoplasies
– Moyens physiques : exérèse chirurgicale, cryothérapie (azote liquide), électrocoagulation ou laser CO2
– Moyens physico-chimiques : photothérapie dynamique
– Moyens chimiques (topiques) : 5-FU ou imiquimod crème
Erythroplasie de Queyrat (décrite pour des lésions génitales par les dermato)
– Biopsie pour confirmation histologique
– Traitement semblable aux leucoplasies (seul l’iquimod n’est pas cité ici)
- Indications thérapeutiques
La curie-thérapie à l’iridium 192 peut s’envisager pour des petites tumeurs (T1-T2 et N0) à distance de l’os : lèvres, langue, plancher antérieur.
Les aires ganglionnaires subissent le même traitement que la tumeur primitive (même sans ADP), ou une radiothérapie si la tumeur primitive est traitée par curie-thérapie.
- Modalités thérapeutiques
> Chirurgie de la tumeur primitive
Exérèse de la lésion ± exérèse osseuse avec ou sans interruption de la continuité
La reconstruction comble les pertes de substance muqueuse et/ou osseuse grâce à des lambeaux pédiculés régionaux ou des transplants microanastomosés. Les transferts de fibula et de crête iliaque sont souvent utilisés dans les reconstructions de mandibule avec perte de continuité.
Type | Prélèvement |
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Lambeaux pédiculés | Nasogénien Myocutané de grand pectoral / dorsal Muscle temporal |
Transferts micro-anastomosés | Lambeau antébrachial Transfert composite ostéomusculocutané de fibula, scapula, de crête iliaque Transfert musculocutané de grand dorsal |
> Curage ganglionnaire
Certaines équipes ne pratiquent un curage étendu que si l’examen histologique extemporané des relais ganglionnaires sous-digastrique et sus-omo-hyoïdien (voies de passage « obligatoires ») est négatif.
Après un curage ganglionnaire, une radiothérapie complémentaire est indispensable en cas de tumeur > T2, de N+ multiples ou de rupture capsulaire.
La technique du ganglion sentinelle est en cours d’évaluation pour les cancers de la cavité buccale.