1) Généralités
Déf : la sclérodermie systémique (ScS) est une affection généralisée du tissus conjonctif, des artérioles, et des micro-vaisseaux, caractérisée par la survenue de phénomènes de fibrose et d’oblitération vasculaire.
Physiopathologie : la physiopathologie est complexe et encore mal comprise.
Association d’un
– Dysfonctionnement des cellules endothéliales : production en excès de l’endothéline 1, vasoconstricteur puissant
– Dysfonctionnement des fibroblastes (activation incontrôlée) : excès de synthèse de protéines de la matrice extracellulaire
– Dysfonctionnement du système immunitaire
. des anticorps anti-nucléaires sont détectables dans le sérum de la majorité des patients et dirigés contres des protéines nucléaires
. d’autres anticorps reconnaissent les cellules endothéliales et/ou les fibroblastes.
Le stress oxydatif (++) et la génétique semblent être impliquées.
Épidémiologie
– Femmes +++ (3-8 femmes pour 1 homme)
– Pic de fréquence entre 45-64 ans
– Environ 6000-9000 patients adultes en France en 2016 (estimation par extrapolation)
– Extrêmement rare chez l’enfant
. ils représentent < 5% de l’ensemble des sclérodermies systémiques
. incidence : 0,27 / millions d’enfants (étude anglaise)
. Sex Ratio F/H : 3,6 (étude anglaise)
Classification
Selon Leroy et coll (1988-2001), trois principaux phénotypes
– Sclérodermie systémique cutanée diffuse : sclérose cutanée remontant au-dessus des coudes et/ou des genoux
– Sclérodermie systémique cutanée limitée : sclérose cutanée ne remontant pas au dessus des coudes et des genoux
– Sclérodermie systémique sine scleroderma en l’absence de sclérose cutanée
2) Diagnostic 2
Clinique | Paraclinique |
---|---|
manifestations cutanées + atteintes viscérales | Recherche d’ac anti-nucléaires Capillaroscopie péri-unguéale |
A ) Clinique
-
Anamnèse
Facteurs favorisant (facteurs environnementaux ⇒ maladies professionnelles)
– Silice
– Solvant
– Fumées de soudage
Facteurs aggravant
– Martellement, vibrations
– Exposition au tabac et aux toxiques (cannabis, …)
-
Examen physique
Manifestation vasculaire
Phénomène de Raynaud (plus de 95% des cas)
– Troubles trophiques : cicatrices pulpaires ou ulcérations digitales
– Parfois isolé pendant plusieurs années
Manifestations dermatologiques
Signes cutanés et muqueux
Parfois absentes ou non encore présentes. 3 phases d’évolution
– Phase œdémateuse
. inconstante, présente dans les formes diffuses ++
. gonflement des doigts et des mains ; parfois des membres qui sont infiltrés
– Phase indurée
. épaississement cutanée
. impossibilité de plisser la peau ± adhérence de la peau aux plans profond
. au visage : disparition des rides du front, nez fin et pincé, diminution de l’ouverture buccale (si distance entre les arcades dentaires < 40 mm)
– Phase atrophique : atrophie puis disparition de l’hypoderme ⇒ peau fine, aspect affiné des lèvres, exagération des plis radiés péribuccaux (la peau peut revenir à la normale)
Note : le score de Rodnan modifié sur 51 points permet d’évaluer l’extension de la sclérose cutanée
Troubles trophiques
– Ulcère digitaux d’origine
. ischémique (extrémités des doigts : pulpe ++) ⇒nécrose voire gangrène
. mécanique ou traumatique : en regard d’une calcinose en extrusion ou en regard d’un point de pression contre un relief osseux
– Cicatrices pulpaires : persistent parfois après la guérison d’un ulcère
Calcinoses (dépôt de calcaire dans les tissus mous, souvent entouré d’une réaction inflammatoire 0)
– Peuvent être absentes
– Siègent au niveau des parties molles (extrémités des doigts des mains +++, face d’extension des avant-bras ou face antérieure des genoux)
– Formes très étendues : touchent les zones périarticulaires voire articulaires, les muscles et les tendons
– Evoluent vers une fistulisation, avec extrusion du matériel calcaire : formation de plaies souvent douloureuses et d’évolution prolongée
Télangiectasies
– Dilatation des petits vaisseaux (forme étoilée +++) 0
– Peuvent être absentes
– Siège : mains, visage, lèvres; cavité buccale
Troubles de la pigmentation
– Plages d’hyperpigmentation ou de dépigmentation
– ± Aspect mélanodermique
Manifestations articulaires et musculo-tendineuses
Atteintes articulaires
– Arthralgies inflammatoires
– Raideur des doigts, des mains et des poignets
– ± Synovites cliniques (10-20% des cas)
– ± Déformations articulaires importantes (associées aux atteintes dermatologiques ⇒ déformations complexes et invalidantes)
Atteintes ténosynoviales
– Frictions tendineuses (crépitations à type de « cuir neuf »)
– ± Rétractions irréductibles des doigts (formes sévères)
– ± Syndrome du canal carpien
Atteintes musculaires : vont de simples myalgies à un déficit moteur proximal
Atteintes osseuses
– Acro-ostéolyse : phalanges distales des mains et des pieds ++
– Ostéopénie
– Ostéoporose
Manifestations viscérales
Atteintes pulmonaires
– Pneumopathie infiltrante (PID)
. asymptomatique au début ++
. toux sèche persistante
. dyspnée
. râles crépitants secs des bases
Note : rechercher d’autres étiologies d’une PID pour ne pas l’imputer à tord à la sclérodermie (par ex : prise d’amiodarone)
– HTAP
. asthénie
. fatigabilité à l’effort
. palpitations
. dyspnée deffort
. signes de décompensation droite (OMI, turgescence jugulaire, reflux hépato-jugulaire)
. ± douleurs, oppressions thoraciques
. ± lipothymies
. syncopes (signe de gravité)
. hémoptysie (très rares)
Note : faire attention aux autres étiologies de dyspnée.
Atteinte cardiaque
– Signes d’insuffisance cardiaque gauche et/ou droite
– Palpitations
– Lipothymies
– Syncopes
– Douleurs thoraciques
– Troubles du rythme et/ou de la conduction sur l’ECG
Atteinte rénale
– HTA maligne et/ou oligurie
– Protéinurie
– Signes d’insuffisance rénale
– Microangiopathies thrombotique
Manifestations oro-faciales
Atteinte fonctionnelle
– difficultés masticatoires (limitation de l’ouverture buccale)
– limitation des mouvements d’excursion de la mandibule
Atteinte neuropathique
– névralgie trigéminales importantes
– stomatodynies
– céphalées + myalgies lors de la mastication associées à une dysgueusie et une dysphagie
Atteinte osseuse et masticatoire
– excroissance de la partie antérieure de l’étage inférieur de la face
– anomalies au niveau des articulations temporo-mandibulaires
– modifications squelettiques au niveau de la face
– ± résorptions mandibulaires idiopathiques
Atteinte muqueuse
– fibrose des muqueuses et des gencives ++ (risque de parodontite)
– défaut de vascularisation parodontale
– hyposialie
Atteinte dentaire : Risque Carieux Individuel (RCI) augmenté (du fait de plusieurs facteurs)
Manifestations digestives
Atteinte œsophagienne
– dysphagie, odynophagie
– douleurs rétro-sternales (due à des troubles moteurs œsophagiens ou une œsophagie)
– reflux gastro-œsophagien
Atteinte gastrique
– syndrome dyspeptique, anorexie, satiété précoce, intolérance alimentaire totale (évoquent une gastroparésie voire un bézoard à la suite d’une atonie gastrique)
– hémorragie digestive (estomac « pastèque », gastrite antrale télangiectasique)
Atteinte intestinale
– syndrome de malabsorption avec syndrome de pullulation microbienne
. AEG
. diarrhée
. syndrome carentiel
– Syndrome de pseudo-obstruction intestinale
. crises douloureuses abdominales diffuses
. constipation
. météorisme : intensité variable, survient de façon intermittente
Atteinte colique
– Constipation (environ 2 selles spontanées hebdomadaires)
– Météorisme
Atteinte ano-rectale
– incontinence fécale
– prolapsus rectal
Manifestations uro-génitales
– petite vessie sclérodermique (pollakiurie)
– chez l’homme : dysfonction érectile
– chez la femme : incontinence urinaire, sécheresse vaginale, dyspareunie
Manifestations neuro-psychiatriques
– atteinte du système nerveux central (exceptionnel)
– troubles dépressifs
– troubles cognitifs
Notes
– Les critères ACR-EULAR permettent de retenir le diagnostic de ScS
– Le critère peut être retenu s’il est présent à un moment au moins de l’histoire clinique.
– Un score de 9 ou au-delà permet de classer les patients comme atteints de ScS
B ) Paraclinique
Recherche d’Ac anti-nucléaires (AAN) par immunofluorescence indirecte sur cellules HEp-2
– titre >1/160 ou >1/200 (90% des cas)
– patients sans AAN ou sans spécificité identifiée : recontrôler à distance (peuvent se positiver secondairement ou exprimer secondairement une spécificité)
– principaux AAN retrouvés au cours de la ScS (habituellement exclusifs)
. Ac anti-centromères : définis par l’aspect de la fluorescence
. Ac anti-topoisomérase 1 (Anti-Scl70) : identification reposant sur immunoblot
. Ac anti-ARN polymérase III (associé à un risque élevé de crise rénale) : identification reposant sur ELISA ou immunoblot
. Ac anti-U1RNP ( ne sont pas spécifiques de la ScS, présents dans le syndrome de Sharp (connectivite mixte) et d’autres formes de chevauchement)
. Ac des syndromes de chevauchement sclérodermie-myosite : Ac anti PM-Scl, Ac anti-Ku
Capillaroscopie péri-unguéale
Recherche une microangiopathie organique (trois aspects principaux selon Cutolo)
– stade précoce : présence de mégacapillaires
– stade actif : réduction du nombre des capillaires, présence de mégacapillaires avec hémorragies
– stade tardif : réduction du nombre des capillaires avec plages désertes, néovascularisation
Notes
– les stades ne constituent pas des stades de gravité ou d’évolutivité de la sclérodermie.
– la présence de mégacapillaires et la raréfaction capillaire sont des éléments caractéristiques (mais non complètement spécifiques) de la ScS
-
Critères de classification ACR-EULAR de la sclérodermie systémique
Domaine | critères | score |
Epaississement cutané (tenir compte du score le plus élevé) | Epaississement cutané des doigts des mains, s’étendant au delà des articulations MCP | 9 |
Doigts boudinés | 2 | |
Atteinte des doigts ne dépassant par les articulations MCP | 4 | |
Lésions pulpaires (tenir compte du score le plus élevé) | Ulcères pulpaires digitaux | 2 |
Cicatrices déprimées | 3 | |
Télangiectasies | 2 | |
Anomalies capillaroscopiques | 2 | |
Atteinte pulmonaire | HTAP et/ou fibrose pulmonaire | 2 |
Phénomène de Raynaud | 3 | |
Anticorps spécifiques de la ScS | Anti-topoisomérase I Anticorps anti-centromères Anti-ARN polymérase de type III |
3 |
C ) Diagnostic différentiel
Pas de données relatives au diagnostic différentiel.
3) Evolution 2
Evolution et pronostic variables selon la forme cutanée de ScS et les atteintes viscérales.
Evolution
– ScS cutanées diffuses : lésions cutanées rapidement évolutives
. extension maximale en 1-5 ans après l’apparition du 1er signe clinique en dehors du phénomène de Raynaud
. apparition des manifestations viscérales surtout dans les 3-5 premières années (atteintes musculaires, digestives, crise rénale, pneumopathie infiltrante diffuses et/ou atteinte cardiaque). Une HTAP peut apparaître au delà de cette période.
– ScS cutanées limitées
. entraînent plus rarement des manifestations viscérales
. peuvent se compliquer d’une HTAP et de manifestations digestives sévères au cours de leur évolution
Pronostic
– Mortalité formes diffuses > Mortalité formes limitées
– Réduction significative survie
. taux de survie à 10 ans = 60% dans les formes diffuses
. taux de survie à 10 ans = 80% dans les formes limitées
– La PID, l’HTAP, et l’atteinte cardiaque sont les 1ères causes de mortalité dans la ScS.
4) PEC 2
A ) Bilan initial
Bilan |
Recherche des manifestations systémiques – NFS+P – Réticulocytes, Schizocytes, haptoglobine, LDH (suspicion crise rénale sclérodermique) – Ionogramme sanguin, créatininémie, uricémie, CRP – Glycémie à jeun, calcémie, phosphorémie – Albuminémie, bilan hépatique (ASAT, ALAT, γ GT, Bilirubine totale et phosphatases alcalines) – CPK – Bandelette urinaire (± ECBU et rapport protéinurie/créatininurie sur échantillon) – NT-pro BNP (ou BNP) – TSH – Ferritinémie – Autres examens selon les signes d’orientations Evaluation du retentissement fonctionnel et psychologique, professionnel (ou scolaire), social et familial – Echelles d’évaluation . SSc-SHAQ . Echelle fonctionnelle de la main de Cochin |
B ) Traitement
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Objectif
– Limiter ou arrêter la progression de la maladie
– Réduire les séquelles de la maladie
– Améliorer la qualité de vie des patients
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Indications
Education thérapeutique et modification de vie : aide le patient à acquérir et maintenir les compétences dont il a besoin pour gérer au mieux sa vie avec la maladie
Traitement en fonction de l’organe atteint
manifestations | traitement |
Atteinte vasculaire périphérique |
Inhibiteurs calciques |
Atteinte cutanée | Méthotrexate MMF Cyclophosphamide Intensification thérapeutique et autogreffe de cellules souches hématopoïétique si forme diffuse sévère et évolutive (après validation de l’indication en RCP) |
Atteinte articulaire | AINS si pas atteinte digestive haute Corticoïdes à faibles doses (≤ 10 mg/jour) Méthotrexate Léflunomide Traitements biologiques ciblés (si polyarthrite réfractaire) : abatacept, rituximab, tocilizumab) |
Myopathie inflammatoire | Corticothérapie orale Méthotrexate Immunoglobulines intraveineuses |
Pneumopathie infiltrante diffuse | MMF Cyclophosphamide IV, relai Azathioprine ou MMF Corticothérapie à faible dose (10-15 mg/j) : discutée Rituximab Nintédanib Oxygénothérapie Transplantation pulmonaire |
HTAP | Oxygénothérapie Diurétiques Antagonistes des récepteurs de l’endothéline Inhibiteur de la 5-Phosphodiestérase : sildénafil, tadalafil Agonistes de récepteurs de la prostacyclines : sélexipag Analogues de la prostacyclines : epoprostenol, tréprostinil Atrioseptostomie Transplantation pulmonaire ou cardiopulmonaire |
Atteinte cardiaque | Inhibiteurs calciques Inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine II ou antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II ou inhibiteur de la néprilysine et des récepteurs de l’angiotensine II Bêtabloquants Diurétiques – antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes Antiarythmiques Défibrillateur implantable /stimulateur Parfois immunosuppresseurs si myocardite Transplantation cardiaque |
Crise rénale | Inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine Inhibiteurs calciques par voie intraveineuse Epuration extra-rénale Transplantation rénale |
Atteinte digestive | Œsophagite : inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), prokinétiques (métoclopramide, dompéridone) Estomac : IPP, Erythromycine (125-250 mg x 2/jour), acide clavulanique, prokinétique (métoclopramide, métopimazine) Grêle : si troubles moteurs et/ou pseudo-obstruction intestinale, octréotide (50-100 μg/j) Colique : si constipation, alimentation équilibrée en fibres et en mucilages, hydratation satisfaisante, activités physiques régulières, laxatifs et lavements évacuateurs, prokinétiques pour une durée limitée (métoclopramide, dompéridone) En cas d’atteinte sévère du grêle ou troubles de la déglutition : alimentation entérale et parentérale Pullulation microbienne du grêle : antibiothérapie séquentielle (3 ATB parmi amoxicilline, métronidazole, fluoroquinolone, gentamicine, etc.) |
C) Suivi
– Suivi dans un centre spécialisé au moins une fois l’an
– Adapté selon le type de complications
– Suivi plus rapproché en cas d’atteintes viscérales sévères ou évolutives et dans les formes récentes de moins de 3-5 ans (ScS cutanées diffuses +++)