1) Généralité 1
Déf : la thrombocytémie essentielle (TE), aussi appelée thrombocytémie primitive, est un syndrome myéloprolifératif (SMP) prédominant sur la lignée mégacaryocytaire (thrombocytose = hyperplaquettose au 1er plan). C’est le moins grave des syndromes myeloprolifératifs.
Physiopathologie : la protéine JAK2 est impliquée dans la signalisation du récepteur de la thrombopoïétine et de l’EPO, la même mutation JAK2 que dans la maladie de Vasquez est donc impliquée (dans 50 % des cas).
Plus récemment, des mutations du gène CALR (codant la calréticuline) ou MPL (récepteur de la thrombopoïétine) ont été découvertes dans les cas non-mutés pour JAK2.
2) Diagnostic 1
Clinique | Paraclinique |
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Erythromélalgies ± Signes de complication (thrombose, hémorragie) |
Hémogramme (répété) : thrombocytose > 450 G/L en l’absence de cause de thrombocytose secondaire Mutation JAK2 (> 50 %) CALR (25%) ou MPL |
A ) Clinique
Circonstances du diagnostic : souvent découverte fortuite à l’hémogramme, ou bilan d’un signe clinique ou biologique évocateur.
Erythromélalgies (signe fonctionnel très évocateur) : douleurs des extrémités très intenses, à type de brûlures, avec érythème ; liées à des occlusions de la microcirculation artérielle, cédant immédiatement à la prise d’aspirine
Signes physiques
– Thromboses artérielles (cérébrales, coronariennes, des membres)
– Thromboses veineuses
– Rarement, syndrome hémorragique
– ± Discrète splénomégalie
B ) Paraclinique
Hémogramme
– Thrombocytose > 450 G/L (jusqu’à 3000 G/L), le plus souvent isolée ; persistant sur plusieurs hémogrammes, sans cause de thrombocytose secondaire identifiée (carence martiale et inflammation ++)
– ± Discrète hyperleucocytose à PNN
– Hémoglobinémie et hématocrite normaux
Note : avant de pratiquer d’autres examens complémentaires, il faut éliminer les différentiels courants (thrombocytose réactionnelle ++)
Recherche sanguine de mutation JAK2 (50-60%) CALR (25%) et MPL en dernier lieu (rare).
Note 0 : comme dans la myélofibrose primitive, on parlera de forme « triple-négative » en l’absence de mutation (dite conductrice) sur l’un de ces 3 gènes.
C ) Diagnostic différentiel
Thrombocytoses secondaires = réactionnelles : dépassent rarement 800 G/L (cf. fiche hémogramme)
– Régénération médullaire, sortie d’aplasie
– Carence martiale : circonstances favorisantes, anémie microcytaire, microcytose isolée.
– Syndrome inflammatoire : ATCD de maladie inflammatoire, contexte infectieux, cancer ; VS et CRP augmentées
– Splénectomie : thrombocytose chronique modérée avec corps de Jolly au frottis
Autres syndromes myéloprolifératifs (SMP)
– Leucémie myéloïde chronique (LMC) : thrombocytose franche, hyperleucocytose et myélémie modérées, transcrit BCR-ABL +++
– Maladie de Vaquez à thrombocytose prédominante : carence martiale associée ou thromboses particulières (thrombose splanchnique, sd de Budd-Chiari), révélation de la polyglobulie après correction de la carence martiale ou restauration de la masse sanguine
– Myélofibrose primitive débutante : mutations JAK2, CALR et MPL également présentes, mais il existe en règle une érythromyélémie et une splénomégalie franche ; la BOM fait le différentiel
Syndromes myélodysplasiques (SMD) : la distinction se fait grâce à la cytologie et à la cytogénétique médullaires
D) Synthèse : classification diagnostique OMS
Selon la classification OMS 2016, le diagnostic de MV est établi si un patient réunit les 4 critères majeurs ou les critères majeurs 1, 2 et 3 + le critère mineur
Critères majeurs | Critère mineur |
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1) Plaquettes > 450 G/L 2) BOM : prolifération de mégacaryocytes matures sans augmentation des lignées granuleuse et érythroblastique ± augmentation minime de la réticulinique 3) Absence des critères diagnostiques de LMC, MV, MFP, SMD ou autre néoplasie myéloïde 4) Mutation JAK2, CALR ou MPL |
Présence d’un marqueur de clonalité ou absence d’étiologie de thrombocytose réactionnelle |
3) Evolution 1
Complications
– A court terme : thromboses artérielles et veineuses (sur-risque persistant même après correction du chiffre de plaquettes) ; hémorragies (surtout si thrombocytose extrême > 1500 G/L et usage d’anti-agrégants)
– A long terme (risque très faible après au moins deux décennies d’évolution) : transformation en myélofibrose secondaire ou en leucémie aiguë
Pronostic : la TE est le moins grave des SMP, l’espérance de vie est normale dans le cadre d’une PEC correcte.
4) PEC 1
> Anti-agrégants et anti-coagulants
Aspirine à dose anti-agrégante (75-100 mg/j) sans preuve formelle du bénéfice
Anti-coagulants : en cas d’ATCD thrombotique (durée mal codifiée)
> Myélosuppresseurs
Objectif : normalisation du chiffre de plaquettes (< 450 G/L)
Molécules disponibles
– Hydroxyurée ou hydroxycarbamide (1ère intention)
– Anagrélide (avec AMM, en 2e intention) : souvent proposé chez le sujet jeune, avec surveillance cardiologique étroite
– Autres : IFN-α (hors AMM, surtout chez le sujet jeune et la femme enceinte), ITK anti-JAK2 (ruxolitinib : en cas d’évolution en myélofibrose)
Indications
– Age > 60 ans
– ATCD de thrombose ou d’hémorragie
– Plaquettes > 1500 G/L
Effets indésirables
– Potentiel leucémogène à long terme (pour l’hydroxyurée, l’anagrélide ne semble pas avoir cette propriété), problème du rapport bénéfice / risque dans la TE qui est indolente
– Effet inotrope positif de l’anagrélide : palpitations, insuffisance cardiaque, troubles du rythme
> PEC des FdR CV (obésité, HTA, sédentarité,…)